Décoloniser la littérature africaine

Les études littéraires africaines devraient donner plus d'espace aux nombreux écrivains vivant sur le continent, dans les langues africaines.

Image credit: oneVillage Initiative, via Flickr CC.

I think I have a correct overview of the Senegalese education system since I did my entire course there, from primary to Cheikh Anta Diop University. I also taught there for years, at all levels, until I decided to prioritize my own literary production. From there we ask ourselves, without necessarily realizing it, the right questions: what is the difference between what I was learning at the Dakar University of Letters at the end of the sixties and what we teach? today to young Senegalese after six decades of independence? To have successively taught at Gaston Berger University in Senegal and at the American University of Nigeria to me also helped to better perceive the differences between African countries respectively called Francophone and Anglophone. The relevance of these two names is – by the way – highly questionable but they at least allow to delimitroughly speaking, the scope of the analysis.

A superficial observer might find the two education systems radically dissimilar – they are in some ways – but basically the similarities are quite numerous. In Senegal and Nigeria, African authors are taught from the start of the school career but they are almost always the same since independence: Senghor, Beti, Sembène, Kourouma, Oyono, for example, for the “ francophones ” and Ngugi , Achebe, Awonor or Armah among English speakers. Very often we explore more the only text of a writer than his personal literary universe. The high school students thus arrive at university knowing the plot and the characters of A Grain of Wheat, Things Fall Apart, Les bouts-de-bois-de-Dieu, Les soleils des independances., etc. This is an excellent thing, but all the same it gives the impression of a lifeless literary knowledge, which one has passively swallowed in order to be able to restore it as it is on examination. And forget it forever, especially when we turn to professional activities unrelated to literature. One can thus recite by heart “Black Woman” and “Joal” of Senghor, without knowing almost nothing of the author himself or of the context of his poetic creation.

Il faut en outre noter l’ironie d’une situation où, après avoir relégué au second plan les auteurs français et britanniques, la périphérie se contente quasi systématiquement de re-valider par son enseignement les auteurs africains reconnus au centre, c’est-à-dire à Paris, Londres ou New York. C’est à mon avis une situation extrêmement fascinante : en quête de légitimité littéraire, les auteurs africains utilisant le francais ou l’anglais se focalisent sur des thèmes propres à séduire le lectorat occidental et cela les conduit aussi à écrire d’une certaine manière. Quand on en vient au fond, cela se traduit par une répétion romancée des clichés de l’Occident sur le terrorisme ou l’émigration, pour ne citer que ces deux thèmes “porteurs” en ce moment. On peut avoir ensuite dans les programmes scolaires africains ces ouvrages destinés par leur contenu et leur forme au public occidental : ce qui peut donner le sentiment d’une avancée politique est en fait plutôt une source de confusion.

Dans la réalité on enseigne moins l’Afrique que l’idée que l’Occident se fait de l’Afrique.

Un travail de ”recentrage”, comme dirait Ngugi, serait certainement le bienvenu. Sans occulter l’apport de la diaspora, les études littéraires africaines devraient faire de plus en plus de place aux auteurs vivant sur le continent. Des auteurs locaux existent mais personne ne les voit ni ne les entend. On a par exemple l’impression que toute la littérature du Burkina Faso se limite au seul nom de Monique Ilboudo, celle du Tchad à l’œuvre de Koulsy Lamko, de Guinée-Conakry à celle Monenembo et Williams Sassine etc. Même quand on parle du Sénégal, de la Côte d’Ivoire ou du Cameroun, le nombre d’auteurs pris en compte est très faible, ne reflétant en rien l’effervescence littéraire dans chacun de ces pays. Je sais qu’au Nigeria, sur ce plan, la situation est différente. Le pouvoir d’attraction du Nord y reste évidemment important à travers ses médias et ses institutions académiques mais les auteurs nationaux n’y sont pas ignorés ou encore moins méprisés. Il me semble qu’on peut en dire autant du Kenya, que je connais toutefois moins bien.

J’aimerais soulever, pour finir, ce point qui me semble crucial : les auteurs africains ne figurent dans les programmes scolaires qu’en fonction de leur langue d’écriture. Ainsi les jeunes Nigerians ne savent rien des auteurs camerounais ou ivoiriens et vice-versa. Quand j’ai fait découvrir à mes étudiants nigerians des romanciers comme Bernard Dadié, Mongo Beti et Kourouma, ils ont d’abord été  déconcertés. L’un d’eux, reflétant l’opinion de ses camarades, m’a posé la surprenante et savoureuse question que voici : ”Pourquoi devons-nous étudier David Diop et Emmanuel Dongala alors que ceci est un cours de littérature africaine?”

En réalité, cette réaction avait surtout à voir avec le fait qu’ils n’avaient jamais entendu ces noms et qu’ils ne savaient pas comment les intégrer à leurs schémas mentaux. Je crois que l’un des très rares auteurs africains d’expression française que tous connaissaient est Mariama Bâ. Mais le malentendu s’est très vite dissipé car ces étudiants nigerians se sont retrouvés en terrain familier et ont donc découvert, non sans un discret émerveillement, qu’il n’y avait aucune différence notable aux points de vue thématique et esthétique entre les écrivains nigerians et leurs homologues congolais. Il était par exemple facile d’établir une jonction entre Kourouma et Tutuola, Ngugi wa Thiong’o et Cheik Aliou Ndao.

Ces deux derniers auteurs ont, justement, la particularité de contester la prééminence de l’anglais et du français, langues coloniales, comme outils de création littéraire et d’enseignement.

À mon avis, la discussion sur les curriculae ne devrait pas rester prisonnière des contenus, elle doit aussi explorer le volet relatif aux langues de travaail des universités africaines. Une belle expérience d’enseignement en pulaar et en wolof – j’en ai été un des instigateurs – est en cours depuis six ans à !’université Gaston Berger de Saint-Louis. Elle rencontre un succès exceptionnel, qui a agréablement surpris tout le monde. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, une université forme au plus haut niveau des spécialistes en pulaar et en wolof. Pour avoir été le tout premier à y dispenser des cours de langue et littérature wolof, je m’estime bien placé pour dire que la rupture libératrice passera par une réappropriation du monde dans les langues africaines. À l’époque j’ai pu lire très clairement dans les yeux de mes étudiants le soulagement de constater avec quelle aisance le réel leur était devenu intelligible.

This does not mean that it will be easy: the complexities of our painful history and the radical nature of colonial destruction make any thankless task for us to the point of seeming insurmountable. But it is in this yardstick of the vehicles of knowledge, the only one having in my humble opinion a real historical significance, that the decolonization of minds can finally be seriously on the program both of our schools and of our lives.

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